Carnaval baroque – Dumestre

Opéra Royal de Versailles, le 20 juin 2025

Note : 5 sur 5.

Le ‘Carnaval Baroque’ de Vincent Dumestre et son ensemble Le Poème Harmonique, un rêve éveillé d’une heure trente…

3 commentaires sur « Carnaval baroque – Dumestre »

  1. Le Carnaval Baroque à Rennes : musique et cirque, tout un Poème !

    Le 01/01/2024Par Véronique Boudier

    L’Opéra de Rennes accueille Vincent Dumestre et son Poème Harmonique pour une nouvelle version de son « Carnaval Baroque », créé en 2006, avec la complicité de la metteure en scène et chorégraphe Cécile Roussat.

    Dans le noir, une procession de pénitents aux voix proches des polyphonies sardes chante un Kyrie Eleison pour rappeler que le Carnaval est avant tout une tradition occidentale, catholique, une période précédant le Carême où -presque- tout semble permis, où aristocratie et peuple se mélangent pour une mascarade avec ses codes, ses rituels, certains issus de coutumes païennes. 

    Ce spectacle dont la mise en scène est conçue par Cécile Roussat consiste en une succession de tableaux, sans réelle trame narrative. Des instants carnavalesques se déroulent sur une journée particulière, celle de Mardi Gras, où tout s’accélère dans la confusion, propre au désordre jusqu’à l’excès. L’univers du carnaval est ainsi rendu, à la fois onirique et extravagant, réunissant musiciens, mimes et acrobates pour un lâcher-prise collectif cependant toujours contrôlé. 

    Tout commence à l’intérieur d’un palais : par une fête gourmande où sur un rythme bien marqué, avec un caractère d’ensemble joyeux, sont consommés « colombes, chapons, faisans, oies, cochons de lait, cailles et perdrix mais aussi mascarpone, gnocchis, lasagnes, raviolis et polenta », et sont bus « le vin d’Albe, le Lacrima Christi, le Montefiascone ou encore le vin de paille qui ne se gâte pas, le Casale, le Camino, le Romanesco ». Un petit tour gastronomique et œnologique des régions d’Italie pour chasser la mélancolie et profiter de Gola (la Gourmandise) et de Bacchus, invitant ensuite à descendre masqués dans la rue pour continuer la fête !

    Ces airs enjoués sont dus à un compositeur italien surnommé « Il Fásolo » (le haricot). Ses sérénades, mascarades étaient jouées pendant le carnaval au XVIIème siècle à Rome et Venise, mêlant chant, acrobatie, danse et théâtre. Il est également connu sous le nom de Manelli, considéré comme un précurseur de l’opéra vénitien. 

    Nos joyeux fêtards, après s’être travestis, descendent dans la rue (sur scène) pour poursuivre la fête masquée et bariolée. Guidés par deux Zanni (valets) farceurs, mimes, jongleurs, acrobates se succèdent au son des chaconnes, villanelles, tarentelles pour des tours de passe-passe, des jongleries, des manipulations de bâtons enflammés, des acrobaties qui émerveillent et envoûtent le public. Des scènes rocambolesques, d’autres plus poétiques se succèdent, certaines faisant songer à des tableaux de Longhi ou Tiepolo. Les acrobates s’empilent pour former des figures complexes comme celle dite « le Forze d’Ercole », traditionnelle pyramide humaine qui a pris racine dans le carnaval vénitien. 

    Tous les codes du carnaval sont présents : de l’âne (devenu roi) incarnant le désordre du monde en passant par les hommes travestis en bête, du charivari à la parodie. Un désordre de plus en plus intense conduisant l’homme à la limite de la folie, ou tout au moins à un état de transe collective, quelle que soit sa condition sociale. 

    La scénographie de François Destors est simple mais efficace et inventive, sans aucun temps mort : une scène de théâtre ambulant, des cageots empilables, une corde tour à tour serpent puis mât de bateau, une tenture soyeuse et des palissades pour délimiter intérieur du palais et rue, quelques planches et tonneaux qui s’assemblent afin de former une table. Quelques accessoires complètent la farce : grands couverts pour dévorer un pigeon, nez digne de celui de Cyrano de Bergerac pour la parodie du Lamento della ninfa, masques grotesques… une fureur d’amusement règne sur le plateau provoquant l’hilarité du public, notamment celle des enfants venus en grand nombre. 

    Les costumes imaginés par Chantal Rousseau assistée de Mathilde Benmoussa pour les maquillages et de Julie Coffinières pour les masques sont soignés et en parfaite adéquation avec la thématique, de l’habit en velours des aristocrates aux costumes distinctifs des personnages de la commedia dell’arte : Zanni, Polichinelle, Arlequin, Brighella, tout comme ceux des saltimbanques ou encore ceux des pêcheurs. 

    Les quatre chanteurs assurent avec dextérité leurs différentes interventions aussi bien au niveau vocal que scénique. 

    Le trio de voix d’homme excelle, notamment dans le Ballo di tre Zoppi (danse des 3 boiteux). Miséreux devenus les puissants de ce jour, ils se moquent des chanteurs pompeux et majestueux en ajoutant quelques intonations d’un vibrant lyrisme, invitant les docteurs à venir rire à leurs « plaisants grincements » se transformant en une cacophonie d’éternuements ! 

    Le ténor Paco Garcia offre une Tarantella del Gargano intense et émouvante. Sa voix assurée, à l’articulation précise, au timbre clair et homogène se fond au rythme hypnotique de cette danse originaire des Pouilles et se mêle harmonieusement aux soli du cornet à bouquin et du violone. Le 2ème ténor, Martial Pauliat, de sa voix au timbre légèrement nasal mais sonore, à la ligne vocale travaillée avec musicalité et de ses aigus nuancés, interprète avec poésie la Villanelle des pêcheurs, se mariant avec le timbre délicat de la flûte à bec. 

    Le baryton Igor Bouin, également bon jongleur, incarne un Bacchus jovial. Sa voix ronde au timbre cuivré est assurée grâce à une articulation précise et une bonne projection. Il est aussi à l’aise dans son jeu théâtral, complice avec les autres chanteurs. 

    Enfin, la seule voix féminine (qui remplace la voix de contre-ténor des productions précédentes) est celle d’Anaïs Bertrand. Elle se distingue dans le pastiche du Lamento della ninfa (d’après Monteverdi) devenue le Lamento del naso. Elle adopte une gestuelle plus codifiée de la rhétorique baroque pour interpréter la plainte d’une femme qui n’ose se regarder dans un miroir à cause de son grand nez. La voix droite de la mezzo-soprano, se pare alors d’un vibrato plus prononcé sur certains mots, déploie des aigus lumineux et des medium-graves bien timbrés. Elle interprète également avec conviction le personnage de Gola (la gourmandise). 

    Les musiciens du Poème Harmonique sont sur scène afin d’être au plus près des circassiens dont les acrobaties sont réglées au cordeau. Si ceux-ci ne peuvent pas se permettre trop de liberté sur cette scène relativement petite, les musiciens au contraire, adaptent leur jeu, peuvent davantage laisser libre cours à leur fantaisie mais toujours en s’intégrant à ce qui se passe sur scène. En résulte une musique en perpétuelle mouvance, laissant place à des improvisations de plus en plus débridées, la plus étonnante étant celle à partir de la danse des trois boiteux avec un jeu du cornettiste aux intonations presque jazzy et des modulations surprenantes ! Vincent Dumestre, à la tête de sa petite troupe, installe le continuo, la trame mélodico-rythmique au luth, théorbe mais aussi avec le colachon, sorte de luth à grand manche, instrument typique du carnaval. 

    Le Carnaval Baroque s’achève après une explosion de confettis dorés laissant le public de tous âges émerveillé, riant et joyeux, manifestant alors sa reconnaissance par de longs applaudissements fournis à l’égard de l’ensemble de la production. Prochaine étape de la tournée de ce spectacle : dès le 13 janvier au Théâtre des Champs-Elysées. 

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  2. MALETTI / MONTEVERDI, Le Carnaval Baroque – Rennes

    Spectacle

    1 janvier 2024

    Mélismes circassiens

    Il y a presque vingt ans, Vincent Dumestre avait imaginé avec grand succès une première version de ce Carnaval Baroque, évocation burlesque et poétique d’une fin d’hiver à Rome au XVIIe siècle. Après une semaine de résidence à l’Opéra de Rennes, nous voilà projeté du temps de Noël à celui de Carnaval, dans la nouvelle mouture d’un spectacle délicieux, remarquablement rythmé et visuellement enchanteur.
    En effet, que ce soit dans les matières, les couleurs, la structuration et l’occupation de l’espace, les costumes superbes de Chantal Rousseau, la scénographie de François Destors, la réussite est totale.

    Vincent Dumestre et Cécile Roussat ont choisi de renoncer à un fil narratif précis pour proposer une déambulation dans les rues de la capitale, des fastes d’un banquet aristocratique aux charmes du théâtre de tréteaux qui plonge dans les origines de l’art du cirque, depuis toujours associé aux fêtes populaires, bien avant le temps des chapiteaux.

    Le cadre religieux du Carnaval est rappelé par un superbe lever de rideau sur une procession religieuse toute en bougies et clair-obscur. Les lumières de Christophe Naillet sublimeront pareillement chaque tableau tout au long de la soirée. Le recueillement et la sobriété de cette Litania dei Santi de Maletti met immédiatement en valeur l’osmose du quatuor vocal qui fera tout autant merveille dans l’ébriété d’une canzonetta d’Il Fasolo ou le si amusant Lamento del Naso de Claudio Monteverdi et Virgilio Albanese. Anaïs Bertrand y offre son timbre plein, très droit, au focus précis, Igor Bouin son émission sereine et bien ancrée, Martial Pauliat à la belle prestance ne démérite pas même si ses aigus ont tendance à reculer, tandis que l’excellent Paco Garcia brille particulièrement dans la Tarantella del Gargano à la projection d’une grande d’autorité.

    La partie vocale nous balade d’un patois à l’autre, du nord au sud de l’Italie dans des partitions folkloriques, charmantes ou parodiques. Elle s’avère finalement plutôt modeste en regard des partitions instrumentales qui elles-mêmes, sont toujours au service de la scène jusqu’à quelques interactions savoureuses qui réjouissent le public.
    Le programme est construit autour du compositeur d’opéras Francesco Manelli, directeur de troupe lyrique, qui sous le pseudonyme de Il Fasolo – le haricot ! – composa également une musique de carnaval, toute en légèreté, à laquelle Le Poème Harmonique consacra un disque en 2002 sous le label Alpha.
    Si le son à sept instrumentistes manque parfois d’ampleur – ce qui risque de poser question la semaine prochaine dans le vaste vaisseau du Théâtre des Champs Élysées -, le travail de rythmique, de couleurs et de nuances élaboré par le Poème Harmonique est un pur régal dans une connexion idéale avec l’action au plateau, des jeux d’écho entre le geste de l’acrobate, du mime et celui du musicien. Le choix d’instrumentation joue des atmosphères avec autant d’intelligence que de sensibilité. Les soli au cornet à bouquin, à la flûte ou au colascione sont particulièrement délectables.

    Le temps de Carnaval est celui de l’inversion des valeurs, où tout est sans dessus dessous avant l’austérité du Carême. Or, bouleverser l’ordre habituel du monde, voilà précisément l’essence du cirque : jonglages avec balles, massues mais également balai, diabolo endiablé et incroyable roue cyr, tours de passe-passe et multiplication magique des flacons de vins, danse de corde, mat chinois, acrobaties, pyramides humaines… Huit épatants artistes circassiens déroulent avec une formidable fluidité tous les possibles du genre. Sous les apparences d’improvisations potaches, les lazzis – loufoqueries – de la commedia dell’arte rendent les changements techniques parfaitement naturels. Ainsi, le public retrouve son âme d’enfant, galvanisé par les rires délicieux des bambins venus profiter du spectacle et qui s’esclaffent devant chaque pitrerie, entraînant les adultes dans leur sillage.

    Un spectacle à applaudir à Rennes les 2 et 3 janvier ; à retrouver dès le 13 au Théâtre des Champs Élysées; le mois suivant à l’opéra de Rouen ainsi qu’à Tourcoing; en mars à Vitry-sur-Seine et en mai au Théâtre de Caen.

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  3. CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, Opéra Royal, le 19 juin 2025. « Le Carnaval Baroque » : Cécile Roussat (mise en scène), Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction)

    ParEmmanuel Andrieu

    20 juin 2025

    Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra – mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

    Depuis près de vingt ans, ce spectacle mythique qu’est « Le Carnaval Baroque » enchante la France et au-delà, et Laurent Brunner a eu une excellente idée en le mettant à l’affiche – du 19 au 22 juin 2025 – à l’Opéra Royal de Versailles, où il a triomphé hier soir lors de la Première ! Vincent Dumestre et Cécile Roussat ont tissé une évocation baroque follement inventive, où la Rome du XVIIe siècle s’anime dans un tourbillon de musique, de couleurs et d’acrobaties. Eblouis, les Happy Few présents se sont laissés emporter dans un véritable rêve éveillé !

    Dès l’ouverture, la scénographie de François Destors vous projette dans les ruelles tortueuses de Rome : des palais majestueux aux échoppes de rue, chaque recoin fourmille de surprises. Les costumes de Maxence Rapetti-Mauss et Chantal Rousseau sont une symphonie de velours, de soies et de masques scintillants, restituant avec génie l’extravagance carnavalesque. Les lumières de Christophe Naillet sculptent l’espace, passant des banquets gargantuesques aux chasses à l’homme nocturnes avec une fluidité hypnotique.

    Ici, les arts du cirque ne sont pas un ornement – ils sont l’âme du spectacle ! Antoine Hélou et Rocco Le Flem défient les lois de la gravité au mât chinois, tandis que Victor Zachor (jonglage et acrobaties) et Quentin Bancel (roue Cyr) exécutent des prouesses qui arrachent des cris d’étonnement. Les mimes, menés par Julien Lubek et Stefano Amori, incarnent avec une drôlerie touchante les Zanni (polichinelles romains), créant un dialogue muet et hilarant avec les chanteurs. La scène de parodie du « Lamento della Ninfa » de Monteverdi (imaginé par notre confrère Jean-François Lattarico !) jouée sur un théâtre de tréteaux, est un chef-d’œuvre d’autodérision baroque.

    Sous la battue inspirée et imaginative de Vincent Dumestre (également au théorbe et à la guitare !), son ensemble Le Poème Harmonique restitue un répertoire rare avec une vitalité électrisante. Les airs de compositeurs méconnus (Maletti, Il Fàsolo) voisinent avec des anonymes ou Kapsberger, le tout rythmé par des chaconnes enivrantes et des tarentelles endiablées. La mezzo Anaïs Bertrand incarne avec une présence magnétique les divas de rue, tandis que les ténors Paco Garcia et Martial Pauliat, ainsi que le baryton Igor Bouin, fusionnent puissance vocale et jeu théâtral déjanté.

    « Le Carnaval Baroque » n’est pas qu’un spectacle – c’est un pèlerinage joyeux aux sources du théâtre total. Dans l’écrin royal de Versailles, cette féerie baroque retrouve sa patrie spirituelle. Vingt ans après sa création, il pulvérise les frontières entre haut et bas, sacré et profane, hier et aujourd’hui… Il faut y courir sur les trois dates restantes !

    CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, Opéra Royal, le 19 juin 2025. « Le Carnaval Baroque ». Cécile Roussat (mise en scène), Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction).

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