Vêpres 1643 – Monteverdi

Chapelle royale de Versailles, le 28 avril 2024

Note : 5 sur 5.

Ces Vêpres sont tirées du recueil ‘Selva morale e spirituale’ (Forêt morale et spirituelle), testament musical de Monteverdi datant de 1643, et font écho aux somptueuses ‘Vêpres de la Vierge’ de 1610.

Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre

3 commentaires sur « Vêpres 1643 – Monteverdi »

  1. MONTEVERDI, Monteverdi Testamento – Cracovie

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    Spectacle

    28 mars 2024

    Synesthésie du sacré

    Il est des lieux exceptionnels qui épanouissent d’une dimension supplémentaire les œuvres qui y sont interprétées. C’est le cas de la sublime basilique Sainte Marie qui, pour la première fois, accueille – gratuitement – un programme musical dédié à l’occasion des vingt ans du festival Misteria Paschalia de Cracovie.

    Vincent Dumestre rend d’ailleurs un hommage appuyé à Robert Piaskowski, directeur du centre National de la Culture et promoteur, à la fois de la restauration du retable et de l’organisation du concert dans la basilique, en le conviant sur scène au moment des applaudissements pour une accolade chaleureuse qui dit bien leur joie d’avoir pu mener à bien cet ambitieux projet.

    Avec ce Monteverdi Testamento, Le chef d’orchestre propose des Vêpres imaginaires, telles que le compositeur aurait pu les concevoir à la fin de sa vie, en écho à la partition célèbre de 1610. L’idée est belle, l’exécution se révèle exceptionnelle.

    Le chef français vient de prendre les rênes du festival – institution incontournable de la capitale culturelle polonaise -. Il y met en pratique un credo qui lui est cher : faire résonner patrimoines architecturaux et immatériels : La basilique Sainte Marie, au cœur de Cracovie, abrite le plus grand retable gothique d’Europe, sublime polyptyque sculpté de la fin du XVe siècle, haut de treize mètres, consacré à la vie de la Vierge et du à l’allemand Veit Voss.

    Une mise en lumière progressive permet au spectateur d’en découvrir les différents panneaux dans un écho narratif aux partitions interprétées au cours de la soirée. Le pari du chef d’orchestre est pleinement gagné car les dimensions visuelles et auditives s’enrichissent l’une l’autre, concourant à une densité émotionnelle assez extraordinaire.
    Lorsqu’une religieuse ouvre les panneaux du polyptyque révélant la scène centrale de la Dormition de la Vierge, l’émotion est indicible. Croyant ou non, nous sommes là au delà d’un moment de beauté pour toucher au Mystère.
    Il faut dire que la soirée est portée par des interprètes en état de grâce et que le programme fait montre d’une grande intelligence, rassemblant des pages majeures du Monteverdi de la maturité. Il joue sans cesse des contrastes comme lorsque le poignant Stabat Virgo Maria cède la place au quasi carnavalesque Laetatus sum.

    Le plateau vocal affiche une remarquable homogénéité avec des timbres qui s’harmonisent merveilleusement dès le Dixit Dominus où flux et reflux emportent immédiatement l’adhésion et jusqu’au somptueux Magnificat dans la plénitude d’un son au grain aussi complexe que généreux.
    L’équilibre prévaut toujours avec ces voix assez droites mais bien projetées, enrichies d’une accroche rythmique ; très articulée. Les « dialogues » du Laudate Pueri ou du Laetatus sum sont extrêmement vivants, quasi opératiques.
    Cyril Auvity nuance avec grâce de son ténor rond et chaud ; Romain Bockler bénéficie d’une émission naturelle et fluide ; tous deux font merveille en duo avec une agilité impressionnante dans le Magnificat.
    Les vocalises sont également impeccables pour Perrine Devillers toute de délicatesse dans le Ego flos campi bien que certaines finales aient tendance à baisser dangereusement.
    La basse bien ancrée de Nicolas Brooymans chante sans effort apparent tandis que Paco Garcia semble parfois à la limite de sa tessiture mais fait montre lui aussi d’une belle autorité.
    Le timbre corsé d’Anouk Defontenay, enfin, bénéficie d’un traitement de faveur avec le somptueux Pianto della Madonna, écho sacré au Lamento d’Arianna, qu’elle interprète par cœur, évoluant librement sur scène pour mieux incarner le drame. Les changements d’intention sont pertinents, la conduite de la phrase sans faille, l’émotion bien présente.

    ©Misteria Paschalia Poème Harmonique

    En écho au chef d’oeuvre de Veit Voss, nous pourrions filer la métaphore et louer la sensualité dans la recherche de poli, d’embossage ; les alternances de mat et de brillant qui réjouissent l’oreille et portent haut le message de foi du compositeur comme dans le magnifique Nisi Dominus.
    Les artisans de ce moment rare évoluent en parfaite osmose. Les chanteurs, donc, l’Ensemble Instrumental du Poème Harmonique également, tout en ciselures et en volutes polychromes, jouant du relief grâce à la variété de l’instrumentarium : les cuivres mis en valeur de manière récurrente dès le Deus in adiutorium, dans le Pianto della Madonna ainsi qu’avec les cordes à la fin du Lauda Jerusalem.

    Le chœur fait montre d’une même maestria dans l’expressivité, les nuances et l’articulation. Les Stabat Virgo Maria et Lauda Jerusalem prennent des teintes quasi instrumentales où le fil du son oscille du plus fragile – presque détimbré – au plus puissant. Les basses y méritent un coup de chapeau tout particulier tant leur grain généreux apporte encore à la palette merveilleusement aquarellée de l’ensemble.

    Certes, le texte perd quelque peu en intelligibilité dans des moments de grand recueillement, peut-être du fait de l’acoustique du lieu, mais cette fragilité acquiert finalement une tonalité poignante. En revanche, les moments les plus sonores, comme les différents « Amen » sont d’une telle densité sonore, d’un telle qualité vibratoire que l’on en est chaque fois bouleversé. Quel formidable équilibre entre les pupitres, quel plaisir dans les dissonances, les jeux de réponses…

    Le travail de respiration, de vide et de plein est servi avec une exigence sans faille par le chef dont la direction s’avère ce soir particulièrement précise, carrée, presque cassante en apparence ; ce pour mieux dompter l’acoustique et obtenir ces silences nourris, ces attaques percussives et ces finales au cordeau, dorures indispensables pour parachever l’œuvre.

    Dans un autre cadre, la magie sera, on l’espère, également au rendez-vous pour la reprise de ce programme le 28 avril dans la Chapelle Royale de Versailles et courant novembre à la Philharmonie de Paris.

    Tania Bracq

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  2. Somptueuses Vêpres de Monteverdi à Versailles

    par Marc Dumont 11 mai 2024

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    © Marc Dumont

    À la fin du concert, Vincent Dumestre prit la parole pour expliciter ses choix musicaux, insistant sur la multiplicité des Vêpres de  la Vierge de Monteverdi, qui ne sauraient se réduire à celles de 1610. Car si ces dernières ont fait l’objet d’une édition les rendant célèbres par delà les siècles, chaque année, d’autres Vêpres étaient jouées, reprenant de multiples compositions différentes du compositeur. D’où le programme du jour, venu de la Selva morale de 1643, donnant à entendre de somptueuses partitions tirées de ce testament monteverdien.

    Disons-le d’emblée : après le concert évènement des Vêpres de 1610 proposées par Leonardo Garcia-Alarcon en janvier dernier, ce fut une autre immense et grandiose réussite. Dès le Deus in adjutorium initial, le ton était donné par la puissance et la virtuosité des chœurs, tout comme par la vélocité et le goût des ornements du cornet à bouquin d’Adrien Mabire, d’une longueur de souffle sidérante. Une atmosphère capiteuse et flamboyante s’installait, qui ne cessa de rayonner tout au long de cette heure et demie de pur bonheur musical.

    Le chœur du Poème Harmonique est ici un protagoniste de premier ordre. Le jeu sur les contrastes rend aux partitions toute la diversité du baroque : le Conquassabit du Dixit dominus passait de la fureur au plus infime pianissimo ; le déploiement d’une grandiose polyphonie magnifiait l’Amen final du Nisi dominus ; le Gloria du Laetatus sum sonnait dans une lumière irradiante, en se jouant des vocalises. Au contraire, dans le Stabat Virgo Maria, ouvert par les trois sacqueboutes auxquels se joignaient ensuite les deux cornets, les choristes créaient un moment suspendu dans un quasi a capella.

    © Marc Dumont

    L’orchestre n’était pas en reste, par ses couleurs, ses chatoiements, la diversité de ses interventions et la qualité de ses musiciens, très attentifs aux gestes du chef. Dans l’introduction de l’Ego flos campi, le violon de Louise Ayton et l’orgue positif d’Elisabeth Geiger rivalisaient d’ornements, quand l’Ave Maris Stella voyait le tendre échange entre Louise Ayton et le cornet d’Adrien Mabire, dialoguant avec les deux solistes féminines qui, là comme ailleurs, touchaient à la perfection par l’émotion distillée.

    Car les voix solistes étaient au diapason de cette totale réussite musicale. Chez les hommes, les barytons Romain Bockler et Viktor Shapovalov, s’imposaient tour à tour, avec des timbres différenciés. Le ténor Paco Garcia, moins sollicité, montra parfois quelques tensions dans les aigus. Quant à Cyril Auvity, dont la voix ne cesse de s’arrondir et mûrir, sa présence est d’autant plus forte qu’elle n’est due qu’à son timbre, sa science musicale et à une aisance confondante de naturel. La puissance de son Amen final dans le Dixit dominus était sidérante. Si la Pianto della Madonna, chantée par la mezzo-soprano Eva Zaïcik, résonnait comme une déchirante déploration nous faisant retenir notre souffle, le moment le plus sublime restera pourtant ce Salve Regina Sv 284, qui est une des plus fortes pages de Monteverdi par sa simplicité de ligne, sa profondeur spirituelle et sa sensualité croisée dans des mélismes bien peu religieux. Un continuo fourni mais poétique, où la harpe de Sara Agueda Martin faisait merveille, enchassait les voix d’Eva Zaïcik et de la toujours rayonnante soprano Perrine Devillers. Elles ont su tisser un instant hors du temps, vers une extase musicale spirituelle en accord avec le soleil doré qui inondait alors la Chapelle Royale.

    © Marc Dumont

    Il est clair que Vincent Dumestre aime profondément ces musiques.  Il en a le sens des contrastes et les années de pratique musicale des partitions monteverdiennes lui ont permis de creuser une profondeur du geste et une intériorité qui s’entendent par l’attention aux mots et aux ruptures de ton. Il joue sur les silences et les résonances du lieu (Dixit dominus) ou sur le slancio du Laudate pueri Dominum, rapprochant ce psaume du balancement des musiques populaires.

    Entendre un tel foisonnement musical lui donne raison dans son cheminement : il s’agissait bien d’un somptueux concert[1].

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  3. MONTEVERDI, Vespro della Madonna 1643 – Vincent Dumestre & Le Poème Harmonique

    3 décembre 2024

    De superbes Vêpres imaginaires, aussi ferventes que jubilatoires

    Ce sont en somme des Vêpres à la Vierge imaginaires, que proposent ici Vincent Dumestre et Le Poème Harmonique, celles que Monteverdi aurait (peut-être) conçues en 1643, à titre de testamento, juste avant d’aller reposer sous la dalle de marbre des Frari.Soucieux de faire quelque chose de différent de son Vespro a la Beata Vergine de 1610, il aurait feuilleté sa Selva Morale e Spirituale (conçue comme une inépuisable réserve de musique et parue à Venise en 1641) et aurait repris des partitions qu’il conservait encore manuscrites (et qui ne seraient publiées qu’après sa mort en 1650 sous le titre Missa a quattro voci e Salmi).

    Le vieux maître était loin d’avoir gardé tout ce qu’il avait composé. Mais du moins il y avait là tout le nécessaire : les cinq psaumes obligatoires, les motets pour les encadrer, et un Magnificat. Ne manquait en somme qu’une hymne, mais Vincent Dumestre y pourvoirait…

    Vincent Dumestre et Le Poème Harmonique © Lukasz Zyska

    C’est que Monteverdi avait dirigé tant et tant de Vêpres mariales, d’abord à Mantoue comme maître de chapelle des Gonzague (de 1601 à 1613), puis tout au long des quelque trente années qu’il avait passées à Venise… Peut-être trois cents ou quatre cents fois (suppose Vincent Dumestre). Et chacune avait été un évènement musical. Il y avait dans l’année huit fêtes dédiées à la mère du Christ, la Conception, la Purification, l’Annonciation, la Visitation, la fête de Notre-Dame des Neiges, l’Assomption, la Nativité et la Présentation. Autant d’occasions de célébrer un culte très populaire à Venise.

    L’album élaboré par Vincent Dumestre est splendide d’un bout à l’autre. Les six solistes, le chœur et l’orchestre y servent un projet passionnant, un programme constamment varié, en quoi il est à l’unisson de l’esprit d’invention monteverdien.

    Tout commence par le déploiement éclatant d’un Deus in adjutorium (lui aussi absent en 1643 et donc confectionné tel un pasticcio en posant le texte du répons sur un passage en stile concitato (agité) venu des Altri canti d’amor). Dans une brillance spectaculaire qui rappelle les fanfares d’Orfeo.

    Santa Maria Gloriosa dei Frari © Ch. S.

    La rutilance et la prière

    Mais c’est surtout le Dixit Dominus secondo qui annonce la couleur : un foisonnement, une vigueur qui n’empêchent pas la ferveur. Netteté des plans sonores, précision très articulée des solistes puis subtilité de leurs entrelacs vocaux, presque madrigalesques, faste des cuivres, assises solides des basses, opulence du double chœur en arrière plan, il y a là à la fois la somptuosité et la jubilation. L’ampleur du Te cum principio, la netteté de ses accents, sa verve rayonnante, amènent au virtuose De torrente, tout en vocalises et coquetteries vocales. Grand théâtre musico-religieux, à la fois luxueux et exaltant, conçu sans doute, pour l’acoustique de San Marco. Interprétation toute de nerfs et de sève.

    Laudate pueri primo, le deuxième psaume, essaie d’autres formules : d’abord un duo des deux ténors (Paco Garcia et Cyril Auvity) sur un tapis de théorbes, puis celui des deux sopranos (Perrine Devillers et Éva Zaïcik) sur fond de cornets, enfin un long solo de la basse (Romain Bockler ou Viktor Shapovalov) avec arrière-plan de trombones. Comme pour rivaliser avec les mosaïques de la basilique, Monteverdi continue à jouer des couleurs dans le Suscitans et fait vocaliser les deux ténors comme à l’opéra dans le Gloria.

    Vincent Dumestre © Pascal Le Mee

    D’autant plus saisissant, le contraste avec le magnifique Stabat virgo Maria aux accents de prière qui suivra : après un appel de cornet introductif et un consort de vents, c’est d’abord un chœur a cappella à cinq voix qui monte dans un dénuement désolé, de plus en plus pathétique à mesure que les cuivres se joignent à lui. Les frottements harmoniques expriment la douleur de la Vierge et la matière sonore se dénude dans une ascension sublime des voix féminines. Comme dans les pièces précédentes, on admire la perfection de la réalisation par le Poème Harmonique, tous se mettant au service de l’émotion.Extraversion et baroquisme

    Virevoltante, la passacaille du Laetatus sum primo, sur une basse immuable, laissera les solistes rivaliser de vocalises sensuelles, jusqu’à un Gloria triomphal en la majeur et un Amen pétillant !Le Salve Regina secondo qui suivra semblera poursuivre dans la même veine extravertie, mais bifurquera très vite vers une prière poignante. Les deux voix de soprano (Perrine Devillers et Éva Zaïcik, merveilleuses de limpidité) y entrelaçant leurs arabesques suppliantes jusqu’à une étonnante gamme ascendante sur « ostende ». Non moins déchirante, la pyramide de vocalises de l’imploration finale sur « o dulcis Virgo Maria ». Les inventions intrépides de Monteverdi laissent une fois de plus stupéfait…

    Autres exemples de ces trouvailles, la manière dont dans le Nisi Dominus secondo, il interrompt les notes répétées (croches ou doubles croches) des « surgite » d’une partie du chœur par les glaçants et statiques « doloris » des autres voix. Ou encore les « Sicut sagittae » qui s’élèvent comme des flammèches, avant le recueillement soudain du Beatus vir, suivi d’un dernier Gloria et d’un Sicut erat jubilant. L’impression d’un maximum d’idées dans un minimum de temps et d’effets de surprise à foison, jusqu’à un final triomphant.

    On se prend à chercher dans la peinture un équivalent à cette effervescence et à cette palette de couleurs… Si l’on pense à Venise, Tintoret ou Véronèse viennent sans doute à l’esprit, mais peut-être surtout Rubens (1577-1640) qui y passa bien sûr et qui se trouve être l’exact contemporain de Monteverdi (1567-1643)…

    Rubens : Couronnement de la Vierge (Louvre)

    A voce sola

    Perrine Devillers fait des merveilles dans le motet Ego flos campi, en réalité une mélodie pour voix seule et basse continue dont le texte extrait du Cantique des cantiques multiple les images érotiques. Elle ajoute de brillants ornements de son cru aux vocalises notées par Monteverdi, notamment sur le suggestif dernier vers : « Et fructus ejus dulcis gutturi meo – et son fruit est doux à mon palais… ».L’autre air a voce sola, le célèbre Pianto della Madonna est on le sait symptomatique des liens étroits pour le compositeur crémonais entre musique sacrée et musique profane. Il avait fait de cette mélodie le Lamento d’Arianna en 1608, il la reprend en 1640 pour exprimer la plainte de la Vierge au pied de la croix.C’est l’autre voix féminine, le mezzo Éva Zaïcik, qui en déroule les longues phrases sinueuses, douloureuses ou révoltées, sur le seul continuo. Éva Zaïcik y est la fois très pure vocalement et expressive avec beaucoup de justesse et de retenue. Le stile concitato des derniers vers souligne encore la théâtralité de ce monologue.Une beauté sonore grisante

    Après toutes ces expérimentations dans le stile moderno et ces deux mélodies a voce sola très opératiques, le psaume Lauda Jerusalem semblera revenir aux polyphonistes franco-flamands qui avaient régné naguère sur San Marco. Monteverdi (et Dumestre avec lui) semble vouloir montrer dans cette pièce qui fait partie du recueil posthume de 1650 qu’il n’a pas oublié le stile osservato. Mais là encore il prouve que, quel que soit le style d’écriture, ce qui l’intéresse avant tout c’est le mouvement, l’expression, la dramaturgie, ou pour le dire d’un mot : la vie. Et Dumestre avec lui… qui donne à cette pièce savante une impulsion joyeuse. Cela avance, accélère, monte en intensité et reste toujours très lisible. On suit toutes les lignes, l’étagement des plans sonores, le contrepoint savant mais jamais sec. Et c’est d’une beauté sonore grisante (notamment le Gloria final).

    Vincent Dumestre à Versaillles © François Berthier

    Une création collective

    Autre moment très beau : l’hymne Ave Maris Stella, qui en l’occurrence n’est pas de Monteverdi… La seule hymne à la Vierge qu’il a composée étant celle à huit voix du Vespro de 1610.Vincent Dumestre explique ainsi sa démarche d’y suppléer par une création collective : « Nous avons choisi de faire entendre [cette hymne] dans une simple alternance des versets, le plain chant succédant à un contrepoint improvisé aux voix solistes ou aux instruments sur le cantus firmus chanté aux voix d’alto du chœur »D’où une pièce nouvelle qui elle aussi semble regarder en arrière, mais regarde surtout vers le haut… Dans une lente progression, on entend d’abord l’émouvante voix à découvert de Charlotte La Thorpe, puis celles du chœur a cappella, au dessus duquel viennent planer une ritournelle de violon, puis un cornet rêveur, jusqu’à un Amen final éthéré où toutes les voix entretissent leurs lignes…Le Poème Harmonique installe là avec ferveur un paysage mystique, immatériel, paisible comme un jardin de couvent médiéval, où le temps serait suspendu…

    … Qui appelle une rupture. Ce sera l’éclatant Magnificat primo. Dans le plus somptueux style vénitien avec ses deux chœurs, ses trombones et ses solistes en fusion.

    La tombe de Monteverdi aux Frari

    Quatorze minutes en fusion

    Tout s’enchaîne dans la verve et l’énergie, et fugitivement le recueillement, comme si Monteverdi voulait récapituler toutes ses manières, dans ces quelque quatorze minutes sidérantes.

    Après les premières vocalises du ténor (on pense au Possente spirto d’Orfeo), solaire dans le Et exultavit, ce seront les sopranos dialoguant dans le Quia respexit (intervention astringente des cuivres contrastant avec le velours des chœurs), puis l’ascension irrésistible des polyphonies à l’ancienne du Et Misericordia, le tumulte martial puis les dentelles des sopranos du Fecit potentiam, avant les viriles surenchères des barytons dans le Deposuit, et celles des deux ténors dans le Esurientes.

    Saisissant aussi, le Recordatus (tissage des frottements harmoniques acidulés des voix solistes et de cuivres rutilants), menant à un Gloria flamboyant, en guise d’apothéose souveraine en technicolor.

    Le chatoiement du Poème Harmonique dans ces dernières mesures parachève un album à notre sens magnifique d’un bout à l’autre.

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