Chapelle Royale de Versailles le 7 octobre 2023
Les musiques composées au tournant des époques Renaissance et Baroque (les décennies autour de 1600) sont exceptionnelles. Je le savais déjà pour l’Italie et l’Allemagne, mais la reconstitution de cette messe de consécration du château de Louis XIII (1623) révèle des oeuvres splendides des français Bouzignac, Formé, du Caurroy,… dans le style polychoral spatialisé si grandiose mais aussi si fervent. C’est une expérience sensorielle démesurée touchant au divin, en particulier dans les tutti sollicitant l’orchestre d’instruments anciens et les larges forces chorales en présence, adultes et enfants réunis…
Luxuriante Naissance de Versailles à la Chapelle Royale
Le 10/10/2023Par Philippe Scagni
Jean-Baptiste Nicolas, à la tête de son ensemble, le Consort Musica Vera, accompagné pour l’occasion par le Chœur de l’Opéra Royal de Versailles et par le Chœur de la Maitrise du CRR de Paris, célèbre en grande pompe le quadricentenaire de la Fondation du Château de Versailles par Louis XIII :
Le jeune chef, spécialiste de la musique du XVIIe siècle, a voulu, pour commémorer la fondation de ce qui n’était alors qu’un simple pavillon de chasse que Louis XIII affectionnait particulièrement, et qui deviendra par le bon vouloir de Louis XIV le palais connu à travers le monde, monter de toutes pièces un programme inventif et ambitieux, à partir de musiques de l’époque issues exclusivement de manuscrits de compositeurs français.
Jean-Baptiste Nicolas a donc imaginé ce qu’aurait pu être la Messe de Consécration du Château de Louis XIII, en mixant savamment deux œuvres principales, la Messe à double choeur de Nicolas Formé et le Magnificat pour Orgue de Jean Titelouze, le tout saupoudré de pièces emblématiques de Bouzignac, de Du Caurroy ou de Philidor…
La Messe a double chœur de Formé méritait effectivement d’être l’élément central de cette composition, d’abord par la majesté limpide de son écriture mais aussi par les contrastes saisissants des numéros qui la composent, alternant des implorations déchirantes dans le Kyrie jusqu’à d’audacieuses cassures de rythme dans le Gloria et le Credo… Le Magnificat de Titelouze, lui, opère une sorte de charme vénéneux avec ses multiples variations énigmatiques, les deux organistes (Pierre Chépélov et Gildas Guillon) usant d’un éventail de jeux complexes et disparates pour en traduire les différentes ambiances très marquées, en dressant en quelques dizaines de secondes de véritables tableaux de Maitres pour illustrer la Visitation de l’Ange Gabriel auprès de la Vierge Marie.
Le Consort Musica Vera, sous la main précise mais parfois un tantinet raide et mécanique de Jean-Baptiste Nicolas, déploie des phrasés grandiloquents et des moments de recueillement suspendus de fort bon goût. La clarté du continuo, la volubilité des cordes et l’onctuosité des cornets et des sacqueboutes (ancien trombone) lui confèrent un son très convaincant. Seules quelques attaques de cuivres (les trompettes d’époque sont sujettes à des lancées hasardeuses) viennent perturber très momentanément cette construction bien huilée.
Le Chœur de l’Opéra Royal de Versailles se distingue ici par sa très bonne tenue sonore, en terme de rondeur des pupitres tout d’abord, d’un éventail de nuances très varié, mais surtout par la maitrise de langoureux phrasés longuement distillés et toujours justes, avec des déclinaisons en demi-teinte très raffinées.
Le Chœur de la Maitrise du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, préparé par Edwige Parat, qui n’intervient que sur quelques pièces magistrales et guerrières ou triomphales, comme l’imposant Domine salvum fac regem de Bouzignac, qui clôt le programme de manière éclatante, fait montre d’une belle précision dans la préparation de ses interventions, malgré des déplacements un peu erratiques à la tribune de l’orgue.
Subjugué par le constant balancement entre pièces tendres et apaisées comme la délicate Pavane faite au Mariage de Monsieur de Vandosme de Philidor, ou l’héroïque Victoire de ce même compositeur, le public applaudit à tout rompre cette soirée de commémoration à l’envergure royale, et voit ses bravos récompensés par un bis enjoué en Allemand, une ode à la Natalité du Christ (de Praetorius).
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CRITIQUE CD événement. La naissance de Versailles (Louis XIII). Chœur de l’Opéra Royal, Consort Musica Vera. Jean-Baptiste Nicolas, direction (1 cd CVS Château de Versailles Spectacles)
ParAlexandre Pham
5 décembre 2024
Grandioses, solennels, en effectif engagé comme une humanité rassemblée, fervente, à l’élan doxologique indiscutable, les chanteurs du collectif rassemblé ici, ne manquent pas d’attraits, dans l’intensité comme dans la sincérité du geste vocal.
Le chef Jean-Baptiste Nicolas reconstitue ce qui pourrait être la première messe circonstancielle à Versailles ; il rassemble le Chœur de l’Opéra Royal et le Chœur de la Maîtrise de Paris – CRR pour, entre autres, chanter la gloire du premier Bourbon dans la place, soit Louis XIII, qu’il s’agisse de la prière conquérante d’un Nicolas Formé (Kyrie de sa Messe si atypique), du très opératique « Ex Ore Infantium » à double chœur d’un Guillaume Bouzignac tout aussi affirmatif et d’une opulence manifeste… Les deux compositeurs concentrent d’ailleurs la matière captivante de ce programme qui précise le faste monarchique de Louis XIII et évoque l’ambiance du premier Versailles (1623).
La pompe versaillaise si spectaculaire et raffinée à l’époque du fils (Louis XIV) prend sa source ici même, ponctuée de séquences plus méditatives réalisées à l’orgue à partir de pièces de Jean Titelouze, – de quoi explorer le principe de liturgie royale versaillaise sise dans cet enregistrement à la Chapelle Royale de Versailles (même si orgue et chapelle ne furent jamais connus de Louis XIII).
Mais le principe d’une messe de consécration se justifie absolument ; qu’elle ait été réalisée selon le vœu de Louis XIII qui apprit à aimer un site de plus en plus emblématique, importe peu car le prétexte avéré ou non, offre l’occasion de restituer le decorum propre à son règne ; comment pouvait sonner une célébration royale dans les années 1620, l’autorité du Roi se manifestant évidemment à travers son château (pour l’heure, le premier Versailles est un pavillon de moyenne grandeur avec surtout son domaine de chasse) et tout l’arsenal de sa musique officielle, ainsi déclinée sous tous ses aspects (essentiellement ici, musiciens de la Chapelle et de l’Écurie), empruntant au sacré (textes liturgiques et orgue) comme au profane circonstanciel et militaire, d’essence prestigieuse et solennelle (effectifs opportuns : cornets, sacqueboutes, trompettes, percussions…, textes citant jusqu’au souverain lui-même, comme c’est le cas du motet « Ex Ore », déjà cité).
Fastes de la Chapelle et de l’Écurie
à l’époque du premier Versailles
Le chef Jean-Baptiste Nicolas qui dirige son ensemble Consort Musica Vera fait sonner un riche éventail de couleurs et de timbres, révélant la riche texture sonore propre à édifier le mythe du roi puissant et vainqueur, celui des protestants (à La Rochelle), ses noces avec Anne d’Autriche (1615) grâce aux musiques réunies par les Philidor (Passe Meze des grands hautbois)…
Déjà la Cour élabore des cérémonies fastueuses qui célèbrent essentiellement l’autorité royale comprenant chorégraphie équestre, pyrotechnie, sonneries diverses…
Aux côtés des motets de Bouzignac, aussi spectaculaires que dramatiques (opposant une voix soliste d’imprécation à la masse dense des deux chœurs et de l’orchestre), s’affirme tout autant la doxologie active de Nicolas Formé dont la Messe à double chœur (avec sa spécificité française : l’un aigu, l’autre grave), est un cas unique qui n’a rien à envier aux vertiges polychoraux italiens. Les interprètes à travers ses 6 épisodes, ponctués des pièces complémentaires, en expriment le souffle, le dynamisme, l’éloquence à la fois diverse et complexe (échos, réponses, spatialité, rupture rythmique incessante…) : une révélation à ce stade. Même sens du défi réussi pour la restitution supplémentaire du Te Deum de la Sainte-Chapelle, hymne glorieux par excellence, ici reconstitué par le compositeur contemporain Pierre Chépélov et avec le concours des enfants de la Maîtrise de Paris qui chantent en monodie avec l’orgue, les versets impairs. Majestueux et enivrant.
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