Opéra Royal de Versailles, le 20 octobre 2024
Un « Didon et Enée » de Purcell empli de féerie à Versailles… et premier opéra baroque pour Solène…
un voyage dans la musique ancienne, mais bien vivante…
Opéra Royal de Versailles, le 20 octobre 2024
⭐⭐⭐⭐⭐
Note : 5 sur 5.Un « Didon et Enée » de Purcell empli de féerie à Versailles… et premier opéra baroque pour Solène…
Didon et Énée, quand la magie prend vie à l’Opéra Royal de Versailles
Le 18/10/2024Par Violette Renié Dubar
Cécile Roussat et Julien Lubek sont les créateurs d’un spectacle pluridisciplinaire réunissant exigence et superbe, mettant en scène le célèbre Didon et Énée de Henry Purcell. Les décors, faits de grottes en carton-pâte, de draps tendus imitant les flots, d’un poisson mécanique ou encore d’un poulpe animé, semblent avoir pu exister à la création de l’œuvre. Se servant des éclairages, de paillettes, d’effets spéciaux simples mais saisissants, les metteurs en scène savent créer des tableaux à la beauté subtile aussi bien qu’effrayants, rappelant parfois la magie d’une parade à Disneyland.
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L’écrin que leur offre l’Opéra Royal de Versailles est tout indiqué pour cette esthétique classique tout en étant innovante. Les danseurs et acrobates ajoutent poésie, beauté, magie et sorcellerie à cette scénographie éblouissante.
L’Orchestre de l’Opéra Royal, sous l’archet de Stefan Plewniak, également premier violon, sait trouver les couleurs et les contrastes qui font vivre cette musique : tantôt âpre, tantôt dansante, languissante ou virevoltante, la sonorité de l’ensemble s’adapte sans cesse aux différents tableaux. Plewniak dirige avec une grande générosité, qu’il joue également ou non, et celle-ci se transmet aussi bien aux chanteurs qu’aux instrumentistes. Le Chœur de l’Opéra est placé derrière l’orchestre et non sur scène, ce qui pose parfois un léger problème de volume trop élevé, malgré le petit nombre de chanteurs. Ils se rattrapent cependant par leur musicalité, leur précision, et l’ardeur avec laquelle ils font vivre cette musique avec l’orchestre.
Incarnant la Reine de Carthage, Sonya Yoncheva ressemble parfois plus à une Walkyrie : sa voix ne semble plus tout à fait taillée pour la musique de Purcell (de ses débuts), et la chanteuse ne cherche aucunement une sonorité baroque. Elle utilise au contraire beaucoup le registre de poitrine, manque de fait parfois de souffle et de clarté dans sa prononciation anglaise. Elle délivre malgré cela un air final tout en rondeur dans lequel se retrouve son timbre métallique et chaleureux, plein d’émotion même si très puccinien par moments.
À l’inverse, la jeune Sarah Charles interprète le rôle de Belinda avec le brio d’une voix légère tel un rossignol, le vibrato serré à souhait, ainsi que tous les trilles et ornementations nécessaires à cette musique. La diction est pure et précise, le timbre chaleureux, la chanteuse semblant faite pour le répertoire baroque. À ses côtés, Lili Aymonino fait une apparition convaincante, avec un timbre rond et une présence forte.
Pauline Gaillard et Yara Kasti forment un duo de sorcières très équilibré et homogène. Lorsqu’elles sont suspendues dans les airs en sirènes maléfiques, le soutien leur fait légèrement défaut et leurs voix manquent de projection, mais revenues sur la scène, elles retrouvent un timbre plus chaud et agréable.
Côté masculin, Halidou Nombre déploie dans le rôle d’Énée un vibrato parfois trop large et une voix difficilement maîtrisée et un peu poussée qui manque de timbre et de graves. Il fait preuve malgré tout d’une intensité vocale convaincante et d’une noble présence scénique.
Attila Varga-Tóth, quant à lui, sorcière-poulpe géant, rappelant Ursula dans La Petite Sirène, possède une voix profonde et très théâtrale mais légèrement dépourvue de registre de tête. Enfin, Arnaud Gluck, qui chante également dans le chœur, est en Esprit un contre-ténor au joli timbre léger et brillant et au vibrato un peu nerveux.
La soirée est un grand succès, le public applaudit à tout rompre l’intégralité de l’équipe responsable de ce spectacle époustouflant.
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PURCELL, Dido and Aeneas – Versailles
Spectacle
21 octobre 2024
Machines et diva
Après un tour de chauffe apprécié au Capitole de Toulouse, Sonya Yoncheva et les forces de l’Opéra Royal de Versailles prennent leur quartier au dit opéra le temps de cinq représentations. La production conçue par Cécile Roussat et Julien Lubek s’avère un vrai ajout dans l’écrin versaillais. Le duo joue la carte du spectacle de cour avec ses machines et ses effets surprenants tels que les aurait appréciés Marie-Antoinette : décors amovibles qui révèlent grottes et palais, force lumières criardes pour marquer les ambiances, costumes bouffants qui renvoient plus à des toilettes royales qu’aux us carthaginois, accessoires qui descendent des cintres. Ce festin visuel tourne et virevolte au point de lasser ça et là. Si l’on salue les performances des acrobates – tout à leur place dans la scène de la sorcière par exemple – on regrette qu’ils aient été sollicités pour chacune des interventions de l’orchestre. Deux scènes resteront toutefois en mémoire : la sorcière pieuvre terrifiante et l’effacement de Didon dans sa robe dépliée, devenue mer et vagues dans laquelle la reine sombre.
Machine aussi que la phalange de l’Opéra Royal. Capable de virtuosité et d’une certaine sensualité, les musiciens et leur chef délivrent pour ces fortes scènes une belle prestation. Toutefois, Stefan Plewniak ne parvient pas à toujours donner le sens ou la couleur qu’il faudrait aux situations. La chasse est prosaïque, la tempête devra se contenter d’un tempo allègre en guise d’intensité, la palette des scènes dépeintes reste trop pastel dans ce répertoire vitaminé. Quelques menus décalages émaillent aussi la soirée, défauts qui se résorberont sans mal au fil des représentations et autoriseront, espérons-le, davantage de couleurs et d’exubérance.
Un triomphe accueille la diva de la soirée. Sonya Yoncheva se coule un rôle taillé pour sa tessiture actuelle, où son timbre aux échos nostalgiques épousent autant les affects amoureux de Didon que son abandon désespéré. Elle domine le plateau par un volume et une projection inhabituels chez Purcell. Ce surcroit de confort lui offre beaucoup de liberté pour incarner la reine dans tous ses aspects. Dommage qu’en Enée, Halidou Nombre passe à côté de sa première scène. Mal assurée, la voix s’éraille à l’aigu. Il faudra attendre la chasse pour que le jeune baryton déploie une voix riche, autoritaire qui sied tout à fait au portrait vocal du prince. Les rôles secondaires, pour moitié assurés par des membres de l’Académie de l’Opéra Royal, délivrent une belle prestation. Sarah Charles (Belinda) trouve toute sa place à côté de cette Didon mordorée, grâce à une voie fruitée à l’aigu lumineux. Pauline Gaillard et Yara Katsi cherchent de l’acidité et des nasalités tout à propos pour croquer les deux sorcières. Enfin, ce sont les deux autres hommes de la distribution qui se font remarquer. Le contre-ténor Arnaud Gluck fait montre d’une projection remarquable au service d’une voie sertie de couleurs irisées dans une intervention dont on regrette la brièveté. Attila Varga-Toth brille autant par sa présence et son jeu scénique que les accents nasillards qu’il sait donner à sa sorcière. Le contrepoint du marin, mi-jovial mi-autorité, achève de montrer toute la versatilité d’un interprète que l’on suivra avec plaisir.
Yannick Boussaert
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Didon et Énée
Purcell
Le 19 octobre 2024
Versailles, Opéra royal
Par Charlotte Segonzac
L’Opéra royal de Versailles donnait ce week-end l’unique opéra de Purcell, Didon et Énée, dont le livret est signé du poète Nahum Tate. Bien que courte au regard du genre lyrique (1h15 environ), cette œuvre riche, virevoltante et chatoyante plonge le spectateur dans une multitude d’émotions. L’argument emprunte à la tradition du poète latin Virgile, même si le librettiste en transpose et modifie une partie de l’intrigue.
Dirigé par Stefan Plewniak, l’orchestre de l’Opéra royal de Versailles interprète l’œuvre avec vigueur et précision. Le chef, qui est aussi premier violon, est sur tous les fronts, et transmet une énergie communicative. Nous soulignerons la performance de deux pupitres en particulier : les flûtes à bec et les clavecins. Le chœur de l’Opéra royal apporte rigueur et énergie au spectacle. Il ponctue à merveille le déroulé de l’action et suit parfaitement les nuances harmoniques et rythmiques de l’orchestre. Leur présence derrière les musiciens ne gêne en rien : elle assure au contraire la cohérence entre la musique et la scénographie.
Quatre des artistes présents sur scène sont membres de l’Académie de l’Opéra royal, et leur prestation est à la hauteur de la réputation du lieu. Sarah Charles est solaire : elle incarne une Belinda tout en douceur, en finesse et en clarté, et elle forme avec Lili Aymonino (la suivante) un duo très délicat et harmonieux, en particulier dans l’air « Fear no danger » du premier acte. Attila Varga-Tóthincarne remarquablement deux personnages, la magicienne et le marin. Dans le deuxième acte, puis lors de son retour au début du troisième, son interprétation de la magicienne qui se délecte de faire le mal, réjouit le spectateur comme l’auditeur. Si l’on perçoit un léger manque de puissance dans les graves au début, sa voix se stabilise très rapidement et sonne parfaitement. Son jeu de scène, tout en contorsions et en malveillance, est admirable. Quant à Pauline Gaillard et YaraKasti, elles incarnent des sorcières auxquelles le timbre assuré et la virtuosité ne font pas défaut. On aurait simplement désiré que ce duo fasse preuve d’une férocité plus prononcée, en particulier dans le deuxième acte. À la fin de ce même acte apparaît l’Esprit envoyé par la magicienne, interprété par le contre-ténor Arnaud Gluck. Sa prestation magnifique et douce bien qu’injonctive fait regretter la brièveté de l’apparition. Le baryton Halidou Nombre campe un Énée émouvant et sincère, d’une grande noblesse dans son imposant costume rouge et doré. Sa voix est ample et suave, et son jeu de scène convainc. Quant à Sonya Yoncheva, sa prestation dans le rôle de Didon suit une courbe ascendante merveilleuse. Dans le premier acte, sa voix puissante et brillante rappelle un peu trop le bel canto, avec des respirations sonores, un vibrato trop prononcé et languissant, et un jeu assez emphatique. Si l’on peine à retrouver en elle la Didon fragile et indécise du début de l’œuvre, sa prestation dans le troisième acte n’admet aucune réserve : grandiose dans la colère, elle joue avec une délicatesse infinie la reine bafouée. Juste après la scène de dispute entre les anciens amants, on assiste à un moment suspendu et magnifique : Didon annonce son inéluctable mort à venir, et Sonya Yoncheva est terriblement émouvante, tout en retenue et en délicatesse. On regrette que, lors du magnifique « Thy hand Belinda, darkness shades me », des bruits parasites semblables à un parquet qui grince s’invitent de façon bien inopportune (sans doute un changement de décor en arrière-scène à rectifier). Hormis ce détail, la fin de l’œuvre s’apparente à un véritable moment de grâce.
Metteurs en scène issus des arts du cirque et du mime Marceau, Cécile Roussat et Julien Lubek signent un spectacle aussi inventif que spectaculaire : certaines scènes sont très frappantes d’invention. Ils ont pris le parti de plonger toute l’intrigue dans un milieu aquatique empreint de poésie. La présence d’un Cupidon acrobate durant toute la représentation contribue à l’unité du récit et à l’atmosphère douce et merveilleuse. Au premier acte, la scène toute bleutée est parcourue de grands voiles figurant une mer paisible, d’où sortent de langoureuses naïades aux mouvements envoûtants. Comme le texte est bref, la mise en scène permet de parfaire la représentation des personnages : ainsi le costume initialement guerrier de Didon se transforme-t-il en une tenue plus féminine. Son pouvoir royal est habilement mis en valeur par la remise d’un sceptre (qui est en fait une flèche de Cupidon détournée dont l’extrémité s’apparente à un corail) et une imposante perle marine qui fait office d’orbe. Au deuxième acte, la grotte des sorcières, placée dans un monde sous-marin, est bien introduite par les contorsions d’acrobates dont les costumes paraissent tout droit sortis d’un tableau de Jérôme Bosch. Si l’apparition de la magicienne en pieuvre fascine par la dimension tentaculaire et monstrueuse de son costume, celle de ses deux acolytes, descendant du plafond dans des costumes de sirènes un peu sommaires, prête à sourire. La scène suivante, qui est censée figurer un épisode de chasse saturé par les références mythologiques (à Diane, Actéon et Adonis) et la célébration du monde forestier, s’accorde mal avec le décor toujours résolument aquatique. Si les voiles bleus tendus pour figurer les ondulations maritimes sont toujours du plus bel effet, le décalage entre les paroles du livret et l’univers représenté interroge. Certes, les scènes s’enchaînent vite, dans ce Didon et Énée, et l’on comprend le souci d’unité, mais le parti pris de la transposition aquatique ne se justifie pas complètement ici. Néanmoins, la mise en scène réserve un très beau moment de poésie lorsque Cupidon réalise une chorégraphie douce et aérienne sur un trapèze en forme de croissant de lune, tandis que les héros se reposent. Quant au troisième acte, qui figure le départ en mer d’Énée, il s’accommode pleinement de l’univers marin. Le début, avec ses multiples acrobaties, est particulièrement réussi, de même que l’habile métamorphose du marin en magicienne dont les tentacules envahissent les ouvertures du bateau. Dans les moments qui précèdent la mort de Didon, la scène se vide, comme pour mieux sublimer le chant de l’héroïne. Et là, l’intelligence de la mise en scène impressionne : c’est dans les plis de sa propre robe que Didon est peu à peu engloutie. Et pour parfaire encore la poésie et l’émotion de l’instant, Cupidon réapparaît dans une dernière performance légère, comme en apesanteur ; c’est alors qu’une atmosphère de cathédrale s’installe. En fond de scène, des bougies s’allument, et le spectateur retient son souffle : la solennité du chœur magnifie la beauté du moment. Enfin, une plume légère et aérienne tombe dans les voiles maritimes présents une dernière fois sur scène, pour accompagner les dernières notes de l’œuvre. Ainsi la fragilité de la destinée humaine est-elle habilement et poétiquement suggérée.
En bref, l’impression d’ensemble de cette représentation se résume en deux mots : harmonie et fantaisie. L’originalité de la mise en scène renforce la féérie de l’œuvre, et contrebalance l’émotion douloureuse de cette histoire d’amour funeste, sans lui faire ombrage le moins du monde. L’intervention de la danse, du mime et des acrobaties apporte un charme poétique qui renforce l’harmonie de l’ensemble. Nous attendons avec impatience de retrouver l’univers de Céline Roussat et Julien Lubek dans La Flûte enchantée, au mois de décembre…
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