Opéra Bastille, le 21 janvier 2024
Un dimanche après-midi passé à l’opéra Bastille pour applaudir l’immense diva Nadine Sierra dans la Traviata de Verdi…
un voyage dans la musique ancienne, mais bien vivante…
Opéra Bastille, le 21 janvier 2024
⭐⭐⭐⭐⭐
Note : 5 sur 5.Un dimanche après-midi passé à l’opéra Bastille pour applaudir l’immense diva Nadine Sierra dans la Traviata de Verdi…
Ovations pour La Traviata et Nadine Sierra à Bastille
Le 21/01/2024Par Emmanuel Deroeux
L’Opéra de Paris reprend La Traviata de Verdi dans la mise en scène de Simon Stone avec une distribution vocale qui déclenche les passions du public de l’Opéra Bastille : Nadine Sierra, René Barbera et Ludovic Tézier.
Présentée en 2019 à l’Opéra Garnier avec Pretty Yende et Benjamin Bernheim, la mise en scène de La Traviata signée Simon Stone resitue l’action à l’ère contemporaine. De demi-mondaine, Violetta Valery est devenue influenceuse sur les réseaux sociaux, étalant publiquement la moindre de ses activités personnelles, attirant ainsi tous les regards et suscitant la fascination de l’instant. Pourtant, la personnalité de cette femme qui se veut libre est beaucoup plus complexe, comme le sous-entend le décor réalisé par Bob Cousins.
Sur un grand plateau tournant sont disposés deux grands murs perpendiculaires formant l’intérieur d’une grande boîte. Du côté extérieur, souvent sombre voire noir, ces murs sont des écrans immenses sur lesquels sont diffusées des vidéos (de Zakk Hein) : fil de publications Instagram, conversations SMS, courriels de la banque ou de résultats d’analyses médicales, parmi des photographies de beaux moments de vie de couple entre Violetta et Alfredo. Alice Babidge signe aussi bien des costumes de soirées loufoques Carnavalesques, que les tenues du travail à la ferme.
Les vidéos suggèrent aussi des lieux et ambiances, comme les dessins en néons éclairent les moments de débauche. Mais à l’intérieur de ce géant écrin, les murs sont blancs, raides. Leur pureté (qui annonce aussi la fin tragique) contraste avec le dynamisme des images qui anime l’enveloppe extérieure. Derrière les apparences de mondanité, se cache la véritable Violetta, éperdue d’amour et de solitude. La présence fréquente de la statue équestre de Jeanne d’Arc de la Place des Pyramides, à Paris (capitale de l’histoire de Dumas fils), indique aussi l’horizon sacrificiel que Violetta accepte, avec la vertu qu’elle se voit refuser. Grâce au plateau rotatif, ces décors peuvent être changés au long de la soirée avec dynamisme, toutefois, l’animation des vidéos (notamment amusantes) peut gêner des spectateurs voulant se concentrer sur la musique lors des arias.
Le rôle principal est confié à Nadine Sierra, qui lui offre son intensité d’interprétation scénique et vocale. Sa voix s’illumine avec naturel, amplifiée par un vibrato présent et des graves-médiums affirmés. Elle monte avec agilité et finesse dans les aigus. Ses longues et délicates tenues savent aussi bien plonger dans les déchirements tragiques.
René Barbera incarne Alfredo de son timbre vaillant et chaleureux avec équilibre. La simplicité touchante de son phrasé s’épanouit notamment dans le candide passage de vie à la campagne.
Ludovic Tézier s’impose naturellement comme pour la création de cette mise en scène (et comme à son habitude) par sa voix chaude et sûre, peignant Giorgio Germont en père aussi aimant qu’inquiet, bienveillant malgré ses terribles recommandations. La tendresse et la finesse de son chant, aussi constantes et assurées que sa ligne vocale lui valent de très chaleureux applaudissements et bravi (et même un haut et fort “Magnifique !”) du public comblé.
Les personnages secondaires aux interventions brèves permettent néanmoins d’apprécier la voix fine et claire de Cassandre Berthon en Annina, et la douce rondeur de Marine Chagnon en Flora Bervoix. Gastone bénéficie du timbre tendre avec une touche de brillance de Maciej Kwaśnikowski, face à un sombre Baron Douphol en la personne d’Alejandro Baliñas Vieites. Florent Mbia prête son chant chaleureux au Marquis d’Obigny tandis que la voix noble de Vartan Gabrielian, aux graves particulièrement souples, sied au docteur Grenvil. Membres des Chœurs de l’Opéra national de Paris, Hyun-Jong Roh (Giuseppe), Olivier Ayault (Domestique) et Pierpaolo Palloni (Commissaire) assurent leurs parties avec présence et soin.
Si les Chœurs de l’Opéra national de Paris, préparés par Alessandro Di Stefano, n’ont tout d’abord pas autant d’exultation que l’Orchestre, avec quelques légers retards par rapport à la fosse au premier acte, ils retrouvent ensuite une appréciable homogénéité. Sous la direction minutieuse et sensible de Giacomo Sagripanti, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris fait entendre des contrastes efficients, des couleurs aussi nostalgiques que dynamiques et envolées.
La salle se lève pour saluer la scène finale de Nadine Sierra, disparaissant dans l’écrin devenu porte vers une brume céleste et éclatante de lumière. Les spectateurs saluent longtemps l’ensemble des artistes, se levant de nouveau pour applaudir Ludovic Tézier, René Barbera et ovationner Nadine Sierra.
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VERDI, La traviata – Paris (Bastille)
Spectacle
25 janvier 2024
Inoubliable !
Ce 23 janvier 2024, à l’Opéra Bastille, c’est l’une des plus belles Traviata qu’on a pu entendre et cela grâce à une interprétation musicale et vocale inoubliable. On ne peut rêver meilleure Violetta aujourd’hui que Nadine Sierra. Son interprétation est bouleversante. Elle « « est » la belle et jeune Violetta, son engagement scénique est époustouflant. La voix est sublime, la technique sans faille, capable de toutes les nuances, de l’infime pianissimo aux fortissimi de la passion et de la douleur. Quel legato, quel phrasé ! Les coloratures sont précises, les aigus denses et lumineux, le chant infiniment nuancé et tout cela avec une aisance désarmante. A ses côtés un Alfredo tout aussi sublime a réalisé ce soir-là un véritable exploit : Pene Pati a, en effet, remplacé au pied levé René Barbera souffrant. Comment a-t-il pu s’intégrer en si peu de temps à cette mise en scène tellement mouvementée et s’adapter à la tournette implacable du décor, sans jamais faillir dans son interprétation, sans que la maîtrise de son chant en soit affectée ? Bravo ! On comprend l’ovation spectaculaire du public à la fin. La voix est magnifique et le duo qu’il fait avec Nadine Sierra est un miracle d’harmonie, de complicité, de sensibilité. Quels musiciens ! On retrouve toutes ces mêmes qualités dans le Germont de Ludovic Tézier d’une noblesse rare, dont le legato infaillible accorde au texte grandeur et magnanimité dans les plus infimes détails. De là jaillit cette émotion qui touche tant le public. Les seconds rôles sont à l’avenant, tous impeccables.
Enfin l’autre grand héros de la soirée est le chef d’orchestre Giacomo Sagripanti à la tête d’un Orchestre de l’Opéra admirable. L’ouverture qui annonce d’emblée le sacrifice final de Violetta est ici un chef d’œuvre d’interprétation : on entend peu souvent de tels pianissimi qui tiennent du murmure, une telle justesse de tempo.
Hélas, au même moment, la scénographie criarde et tape à l’œil, invite le public à lire, sur d’énormes écrans qui virevoltent, des messages de réseaux sociaux vulgaires et salaces. On entend des spectateurs s’esclaffer alors que dans la fosse s’élève la plus intime et profonde des musiques. Quel manque de respect envers l’œuvre ! Et, souvent dans la soirée, ce genre de vulgarité inutile et démagogue impose aux spectateurs une pénible distanciation. Comment lire la traduction du texte de Piave quand on voit sur grand écran, en scène, un défilé d’émojis et d’échanges insipides d’internautes ? Interférences lassantes sans parler des accessoires et accoutrements tapageurs et intempestifs qui détournent l’attention durant la soirée. Quel dommage car le metteur en scène Simon Stone est un excellent directeur d’acteurs ! Il sait aider les chanteurs à construire leur personnage, il les comprend. Pourquoi s’encombre-t-il de tant d’artifices inutiles quand c’est dans l’épure qu’il excelle, en particulier quand les acteurs sont seuls en scène face à un décor simple et nu. Ainsi, la rencontre de Violetta avec Germont au second acte est particulièrement poignante tout comme le dernier acte où Nadine Sierra est déchirante (on se souviendra longtemps du duo final à peine chuchoté au début, et de la marche vers la mort de Violeta). Le public debout a longuement acclamé les chanteurs, le chœur, le chef et l’orchestre au salut final. Grâce à eux cette Traviata restera dans les annales de notre opéra national.
Marcel Quillevere
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Nadine Sierra, bouleversante Violetta à Bastille
Le 25 janvier 2024 par Patrice Imbaud
Après sa Lucia au MET, la soprano Nadine Sierra retrouve Simon Stone sur la scène de l’opéra Bastille pour cette reprise de la Traviata qui n’a rien perdu de sa verve, entourée pour ce nouveau millésime 2024 de Pene Pati (remplaçant René Barbera souffrant) et de Ludovic Tézier.
Lucia, Gilda et maintenant Violetta, voilà le parcours d’une rare droiture de la soprano américaine pour laquelle le rôle de la célèbre courtisane n’a maintenant plus de secret : prise de rôle en 2021 au Mai musical florentin, confirmation au MET en 2022 et aujourd’hui à l’Opéra Bastille dans cette reprise de la superbe production de 2019 mise en scène par Simon Stone, qui associait Pretty Yende et Benjamin Bernheim dans sa mouture initiale.
Il faut bien avouer que parmi les productions opératiques, rares sont celles susceptibles de réunir de tels atouts : une distribution vocale superlative et homogène, un orchestre et une direction capables de développer des couleurs et des nuances infinies, une mise en scène d’une rare intelligence dont Simon Stone avait déjà utilisé le principe numérique dans sa Lucia au MET de New York avec la même Nadine Sierra.
D’une grande lisibilité qui éclaire le cheminement du drame par ses annonces sur grand écran, cohérente malgré quelques outrances, fidèle au livret, moderne et connectée, la mise en scène de Simon Stone fait de Violetta une influenceuse soumise aux heurs et aux malheurs des réseaux sociaux, utilisant force vidéo, SMS, selfies, post, likes, et autres stories. Une transposition contemporaine qui sied comme un gant à la soprano américaine friande de ce genre d’exercices sur Instagram notamment. La scénographie de Bob Cousins se décline en quatre tableaux principaux : une boite de nuit parisienne illuminée par les éclairages colorés de James Farncombe à l’acte I, lieu de la rencontre des deux amants lors du célèbre toast ; un décor champêtre très épuré où se joue le drame de la rupture et un bal costumé chez Flora qui met en avant les costumes très colorés d’Alice Babidge à l’acte II ; une blafarde salle d’hôpital à l’acte III. Tout cela s’organisant dans une vertigineuse et dramatique fuite en avant portée par une convaincante et précise direction d’acteurs, sans temps morts depuis la fête initiale jusqu’à l’agonie poignante de Violetta dans un décor blanc dépouillé avant que la courtisane ne disparaisse, in fine, entourée de brumes célestes dans un rai de lumière rédemptrice…
Dans la fosse, Giacomo Sagripanti conduit l’orchestre en sculptant la musique à pleines mains avec une grande douceur empreinte de nostalgie, suivant au plus près la dramaturgie, dans un équilibre souverain avec le plateau, sur un tempo assez lent – que lui autorisent les chanteurs – mettant au jour d’infinies nuances qui exaltent l’émotion.
La distribution vocale ne souffre aucun reproche, dominée par la bouleversante Nadine Sierra dans le rôle-titre qui impressionne par son incarnation vocale et scénique arguant d’une puissance et d’une projection phénoménales, d’un large ambitus depuis des aigus, stratosphériques ou subtilement filés, jusqu’à des graves bien timbrés, faisant jaillir de son chant de magnifiques couleurs et un émouvant legato à faire pleurer les pierres, portés par un souffle qui semble inépuisable. Face à elle, Pene Pati qui a repris le rôle d’Alfredo au pied levé, séduit par son timbre de velours et son sublime legato qui lui vaudront une large ovation aux saluts. Ludovic Tézier, incontournable baryton verdien, incarne un Giorgio Germont admirable dans un « Di Provenza », associant charisme, autorité, humanité et bienveillance. Les rôles secondaires ne sont pas en reste qu’il s’agisse de Marine Chagnon (Flora), de Maciej Kwasnokowski (Gastone), d’Alejandro Balinas-Vieites (Douphol), ou de Florent Mbia (Obigny) sans oublier Vartan Gabrielian (le médecin) ni le magnifique Chœur de l’Opéra de Paris, participant tous d’égale manière au succès mérité de cette éblouissante production.
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