Les chemins de Bach : Dynasties

Chapelle Royale de Versailles, le 7 décembre 2022

Note : 5 sur 5.

Concert proche de la perfection ce soir avec l’interprétation habitée et pleine de nuances par l’ensemble Pygmalion du sublime répertoire du premier baroque allemand, avec les compositeurs Michael et Hieronymus Praetorius, et la dynastie Bach (Johann, Johann Michael, Johann Christoph, Johann Sebastian).

Direction Raphaël Pichon

2 commentaires sur « Les chemins de Bach : Dynasties »

  1. Avec Pygmalion, tous les chemins mènent à Bach
    Le 06/12/2022Par Olivier Delaunay
    L’Ensemble Pygmalion ouvre à l’Auditorium de Bordeaux un cycle de concerts dédiés à l’idole de leur chef Raphaël Pichon : le grand Jean-Sébastien Bach, en commençant ce chemin par un programme intitulé « Dynasties » :
    Pour un allemand, le nom Bach a une signification qu’il n’a pas pour un français (s’il n’est pas germanophone). “Ruisseau”, ou “courant”, telle est la traduction de ce patronyme célèbre de l’Histoire de la Musique. Comme une évidence, sa musique semble en effet couler de source. Ce cours d’eau irrigue depuis bien longtemps le parcours fertile de l’Ensemble Pygmalion. S’ils se sont récemment aventurés dans les méandres de la musique Romantique avec une prestation acclamée de Lakmé (Léo Delibes) à l’Opéra Comique de Paris, ils reviennent en cette fin d’année à leurs premières amours.

    Entamés par une première série de concerts en cet automne, Les chemins de Bach est une aventure ambitieuse étalée sur plusieurs concerts, qui projette d’offrir au public une plongée en profondeur dans l’univers musical, familial et historique de Jean-Sébastien Bach. Le principe de ces programmes est simple : une œuvre de Bach, éclairée à chaque fois par une myriade d’autres, pour créer un ensemble de sens, une thématique. Avant Les Maîtres (février 2023), c’est à la Dynastie “Bach” que l’Ensemble Pygmalion s’attaque en premier lieu. Le programme met aussi en regard une autre dynastie contemporaine avec Hieronymus Praetorius et Michael Praetorius ainsi qu’un autre -bach : Heinrich Erlebach.

    Si certains descendants de Bach sont connus (Carl-Philipp Emanuel ou Johann Christian par exemple), son génie n’est pas une émanation spontanée et miraculeuse. La famille Bach remonte en vérité à plusieurs générations de musiciens qui ont précédé le plus célèbre de leurs représentants. Attaché à rendre hommage à cet héritage, l’Ensemble Pygmalion a donc inscrit au programme quelques noms moins illustres de la dynastie (Johann Michael, Johann Christoph, Johann). Moins illustres, mais passionnants : dans quelques trésors musicaux, le sentiment d’humilité absolu de ces partitions sacrées trouve un sens musical bouleversant dans la recherche extrême de nuances délicates, un des atouts majeurs de Pygmalion.

    Un sens de la justesse, un confort harmonique qui leur permet de conserver sa cohérence au discours, tout en allant chercher des intensités vocales à la limite du chuchotement. Les quintes sonnent parfaitement entre les voix graves, sans l’artifice d’un placement vocal trop pointu. Les voix aiguës, droites et légères se montrent pleinement à l’aise dans les hautes sphères, suffisamment en tout cas pour conserver à l’ensemble cette qualité organique, d’une douceur infinie.

    Le public est saisi dès les premières secondes par la grâce de ce répertoire, tant dans le contenu de ses textes que dans leur interprétation. Émotion partagée à chaque fois que revient ce sens délicat de la nuance, au long des pièces habilement compilées par Raphaël Pichon pour préparer l’arrivée de la pièce maîtresse : la cantate BWV 106 Actus Tragicus de Bach (Jean-Sébastien).

    Tout au long du concert, mais plus particulièrement dans cette pièce qui alterne solos et passages collectifs, les voix qui se détachent du chœur sont toutes étonnantes. Le cast de solistes choisi par Raphaël Pichon prouve son attachement à une interprétation sobre et délicate du répertoire. Aucun des timbres ne trahit d’excès lyrique. Tout est fait avec le même goût du texte, d’abord. À commencer par l’angélique William Shelton (alto) dont la voix pure émerge de l’orchestre avec les flûtes. Maïlys de Villoutreys (soprano) imite à merveille les voix d’enfants employées à l’époque, avec son timbre de cristal, traversé çà et là par une fragilité assumée, très à propos dans le répertoire d’église. Ces voix légères de timbre, y compris même celle du baryton Tomáš Král conviennent pleinement à la musique du jeune Jean-Sébastien Bach (la cantate a été composée au début de sa vingtaine).

    À la fin de ce premier séjour au pays de Bach, le public sort de son enchantement et salue chaleureusement les artistes. Les bravos sont unanimes pour tous les acteurs de la soirée, y compris pour l’orchestre sur instruments d’époque qui, bien qu’il ne tienne pas le premier rôle dans cette musique, maintient justesse et équilibre : qualités indispensables pour restituer un style dont la grâce ne vient pas de la fantaisie, mais de l’esprit de corps.

    L’ambiance sera vraisemblablement différente, peut-être plus lyrique au prochain concert de cette série, qui mettra en avant des compositeurs italiens parmi les Maîtres qui ont influencé Bach. De Monteverdi à Carissimi, c’est hors des frontières allemandes que mèneront Pygmalion et Pichon sur les Chemins de Bach, en février.

    J’aime

  2. Début d’un nouveau cycle Bach par Pygmalion
    Le 4 décembre 2022 par Stéphane Reecht

    Reprenant la formule de Bach en 7 paroles, l’ensemble Pygmalion se lance dans un nouveau cycle de concerts autour du Cantor de Leipzig, Les Chemins de Bach. Première étape à la Cité de la Musique, sur le thème « Dynasties ».

    Donner, dans un programme consacré au jeune Johann Sebastian Bach et à la musique de ses prédécesseurs, la cantate BWV 106 « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit », l’une des premières dans l’ordre chronologique, est chose assez courante. Ces dernières années on l’a par exemple vu faire par Vox Luminis, l’ensemble Correspondances, et déjà Pygmalion. Si l’on en croit le programme de salle, l’intention première de Raphaël Pichon n’était pas de placer ce joyaux à la fin du concert, pas plus que ce dernier ne devait s’ouvrir par le Magnificat a 6 de Michael Praetorius, mais c’est le choix qui a été fait in fine. Ainsi charpenté, le programme dessine un parcours limpide et raconte une histoire assez (peut-être trop) simple : de l’Italie (on jurerait être à Venise avec l’œuvre de Praetorius) à Johann Sebastian Bach, en passant par ce XVIIe siècle d’Allemagne du Nord tout imprégné de piété luthérienne. L’originalité réside plutôt dans le choix d’œuvres tirées de l’arbre généalogique Bach, et de deux autres contemporains peu joués, Weckmann et Erlebach, à côté des deux Praetorius.

    Autre originalité, un continuo d’une grande richesse (orgue positif, clavecin, basson, harpe, théorbe, violoncelle), et quatre trombones accompagnés de deux cornets à bouquin, qui donnent de la puissance à l’ensemble et des couleurs toutes italiennes. La variété des instruments multiplie celle des partitions, et contribue à balayer, s’il en était besoin, l’image d’une musique allemande du XVIIe siècle austère et rébarbative. Certes, les textes sont tous à caractère religieux, et l’expression n’a rien de démonstratif, mais quelle sensibilité et quelle force d’évocation se dégagent de cette musique !

    Les instrumentistes comme les chanteurs de Pygmalion sont irréprochables. Les solistes, principalement masculins ce soir, habitent leur texte et parviennent tous à se projeter dans le vaste espace de la Salle des concerts. Tant de superbes moments nous sont offerts qu’il est bien difficile d’en distinguer l’un plus qu’un autre. Citons tout de même les motets Himmel, du weisst meine Plagen de Philipp Heinrich Erlebach, dans lequel Zachary Wilder atteint des sommets, et Unser Leben währet siebenzig Jahr de Johann Michael Bach, où la voix de contre-ténor de William Shelton tantôt se mêle au chœur tantôt s’en détache, dans un moment poignant, recueilli et lumineux tout à la fois.

    Seul minuscule regret : la cantate BWV 106, bien que maîtrisée, est prise à un train d’enfer. Les différentes parties en sont bien dessinées, et les solos bien habités, mais on aimerait tant prendre le temps de profiter davantage de ces superbes pages. Cela n’altère pas cependant l’excellente impression laissée par la soirée. Le deuxième concert du cycle est prévu en février : on a hâte !

    J’aime

Laisser un commentaire