Jules César en Egypte – Haendel

Théâtre des Champs-Elysées le 18 mai 2022

Note : 4 sur 5.

L’événement baroque de la saison lyrique avec le ‘Jules César’ de Haendel – un festival de tubes dans une intrigue torturée à souhait – sous la direction de Philippe Jaroussky entouré d’une distribution de rêve : Sabine Devieilhe, Gaëlle Arquez, Franco Fagioli…
Pour l’essentiel l’attente est comblée : chanteurs et orchestre au top, et mise en scène discutable, même si elle fonctionne plutôt bien dans l’ensemble 😅

2 commentaires sur « Jules César en Egypte – Haendel »

  1. Philippe Jaroussky nous transporte avec “Jules César en Égypte”
    3 minutes à lire
    Sophie Bourdais
    Publié le 13/05/22

    Une affiche vocale de rêve, les débuts réussis du contre-ténor comme chef d’opéra : l’œuvre de Haendel offre de grands bonheurs musicaux. Objet d’une forte bronca aux saluts, la mise en scène de Damiano Michieletto au Théâtre des Champs-Élysées n’a pourtant rien d’indigne, et profite de l’implication du chef comme des chanteurs.

    « Un cast de péplum » selon Philippe Jaroussky, qui, pour une fois, n’évolue pas sur le plateau mais dans la fosse : telle serait la première (et suffisante) raison d’aller découvrir la production de Giulio Cesare in Egitto, de Haendel, présentée jusqu’au 22 mai au Théâtre des Champs-Élysées. Une fabuleuse collection de timbres baroques y relève, à l’instar du chef, le défi de la prise de rôle. En 1724, Sextus était confié à une femme, Margherita Durastanti, et le castrat Senesino endossait le rôle de Jules César. En 2022, Franco Fagioli, jusqu’ici distribué en César, s’approprie les airs redoutables et la soif de vengeance de Sextus, et la mezzo-soprano Gaëlle Arquez compose un César aussi généreux dans le timbre que dans les intentions. Tout aussi convaincants sont la Cléopâtre cyclothymique de Sabine Devieilhe, la noble Cornélie de Lucile Richardot, le vil Ptolémée de Carlo Vistoli, le bouillant Achille de Francesco Salvadori, et les Nireno et Curio de Paul-Antoine Bénos-Djian et Adrien Fournaison, tous deux passés par l’Académie Jaroussky.

    Ils bénéficient, en fosse, d’un complice attentionné. Nouveau venu à cette place, Philippe Jaroussky a souvent chanté Sextus au temps où il n’était « que » contre-ténor. Il connaît l’œuvre, ses pièges et ses subtilités, et met ce savoir au service de la production dans son ensemble, veillant au confort vocal des chanteurs, respirant avec eux, tout en cherchant à chaque scène un climat qui rende autant justice au sens du texte qu’au projet scénique. Son ensemble Artaserse, fondé en 2002, fournit toutes les couleurs et nuances souhaitées, et l’équilibre entre fosse et plateau, si difficile à obtenir même pour des chef(fe)s aguerri(e)s, n’est jamais pris en défaut. Jaroussky pourrait encore dynamiser son ouverture, un rien trop prudente. Et tenir avec plus d’autorité la grande ligne de l’œuvre, quelque peu distendue, ici, par de nombreuses pauses – pour la plupart induites, il est vrai, par les applaudissements nourris qui accueillent chaque air de bravoure. Cette marge de progression ne l’empêche pas d’obtenir avec les honneurs ses galons de chef lyrique, à la joie manifeste de fans bien représentés dans la salle.

    Loin de recueillir la même approbation, Damiano Michieletto et son équipe ont été copieusement conspués aux saluts. Bien injustement, car leur proposition ne trahit pas le livret, creuse intelligemment la psychologie des personnages, et regorge d’idées visuelles. Vêtus d’élégants costumes contemporains, les protagonistes sont prisonniers d’un destin inexorable, matérialisé par des fils rouges dont l’entrelacs se fera de plus en plus serré, et que tissent trois Parques à l’intention des Romains, et trois créatures coiffées de crânes d’animaux du côté des Égyptiens. Voués à une mort imminente, ou touchés de plein fouet par le meurtre d’un proche, César, Cléopâtre, Cornélie et Sextus disposent d’un accès direct à la dimension ténébreuse qui grignote, sur le plateau, la grande boîte blanche où démarre le spectacle. Averse de cendres, assaut de serpentins moins innocents qu’il n’y paraît, jeux de déguisement, brèche temporelle ouverte par l’apparition de conjurés vêtus de toges romaines, omniprésence muette du fantôme de Pompée… On en prend plein les yeux, et si ce n’est pas toujours aimable ni gracieux, tout est chargé d’un sens qui stimule en continu notre curiosité.

    Les chanteurs font plus que jouer le jeu. Le soprano léger de Sabine Devieilhe évolue en même temps que sa Cléopâtre : comme enivré de sa propre virtuosité quand elle n’est encore qu’une pin-up frivole, coiffée à la Louise Brooks ou à la Rita Hayworth, il se charge de tout un poids d’émotion quand la catastrophe la rattrape, et qu’elle doit devenir une véritable reine. La lamentation à deux voix de Sextus/Fagioli et Cornélie/Richardot, à la fin du premier acte, bouleverse d’autant plus que Michieletto, sans s’y complaire, n’édulcore pas la nature des menaces et souffrances endurées par la veuve et l’orphelin. Le long air de revanche de Ptolémée, quand il croit avoir défait Cléopâtre, s’enrichit de tout un récit muet sur la relation d’amour-haine entre le frère et la sœur. Et ainsi de suite…

    Parions que cette production sera mieux comprise lors de son éventuelle reprise, ou lors d’un visionnage de sa captation audiovisuelle. À guetter prochainement sur Culturebox, France 3 Aquitaine et Mezzo, elle sera visible à partir du 17 septembre sur TCE Live, nouvelle chaîne numérique lancée par le Théâtre des Champs-Élysées.

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  2. Philippe Jaroussky réussit ses débuts en fosse avec Jules César au TCE
    Le 12/05/2022Par Damien Dutilleul
    Le Théâtre des Champs-Elysées présente sa production évènement de Jules César, portée par une distribution de choix placée sous la direction novice mais déjà experte de Philippe Jaroussky.
    Ce Jules César du Théâtre des Champs-Elysées est un évènement à plusieurs titres. D’abord parce que cette production marque les débuts du contre-ténor Philippe Jaroussky dans la fosse d’un opéra (il n’avait jusqu’ici dirigé que des concerts, sur la scène, donc). Ovationné avant même que la première note ait été jouée (puis de nouveau à l’entracte), il mène son Ensemble Artaserse d’une gestique sobre dans des tempi extrêmes : particulièrement allants dans les airs vifs, et exagérément lents dans les pages plus mélancoliques. Sa direction est cadencée, accentuée et sautillante, générant d’incessants flux et reflux sonores, entrainant les chanteurs dans des nuances en constante évolution.

    Cette production est également un évènement car la quasi-totalité des solistes impliqués effectuent à cette occasion leur prise de rôle (hormis, seulement, le petit Nireno). Gaëlle Arquez incarne le rôle-titre d’une voix impériale, ferme, chaude et résonnante. Elle se montre agile dans les vocalises dont elle maintient la précision malgré le rythme effréné dicté par l’orchestre.

    Sabine Devieilhe et Gaëlle Arquez dans Jules César (© Vincent Pontet)
    Sabine Devieilhe se mue en caméléon pour interpréter Cléopâtre : physiquement d’abord, ses changements de perruques et de robes lui permettent de se transformer au fil du spectacle pour accompagner l’évolution de son personnage. Musicalement ensuite, puisqu’elle s’appuie sur sa voix pure et extrêmement agile pour sculpter des ornementations s’éloignant franchement du style haendelien pour s’approcher de ses rôles fétiches comme celui de la Reine de la nuit. Cette pyrotechnie est appréciée du public qui ovationne chacune de ses interventions. Dans ces deux domaines, elle se fait séductrice, par sa robe largement échancrée ou par son phrasé sculpté.

    Sabine Devieilhe dans Jules César (© Vincent Pontet)
    Franco Fagioli, qui fera selon le programme de salle ses débuts comme chef d’orchestre la saison prochaine, s’empare du rôle de Sextus après avoir déjà chanté le rôle-titre. Débarrassé des mouvements du haut du corps par lesquels il accompagnait jusqu’ici ses prouesses vocales, il laisse sa voix très ambrée parcourir son immense ambitus, des graves caverneux jusqu’aux aigus nourris, avec une grande fluidité dans les changements de registre.

    Franco Fagioli et Lucile Richardot dans Jules César (© Vincent Pontet)
    Lucile Richardot peint une Cornelia sensible, à la voix très couverte, aux graves charnus, soutenus par un souffle bien libéré. Ses phrasés pétris de la douleur de son personnage sont délicats et éblouissent dans ses premiers airs, tandis que la musicalité se fait moindre dans sa dernière intervention, plus vive. Carlo Vistoli parvient à se fondre dans son rôle de Ptolémée pour rendre son sadisme et sa veulerie. Son ambiguïté se retrouve dans son chant aux changements de registre rugueux entre sa voix de contre-ténor et sa voix de baryton. Son timbre viril et ferme est manié avec ductilité et précision dans des vocalises exigeantes. En Achille, Francesco Salvadori présente une basse robuste au registre aigu très développé, au timbre clair même dans le grave. Maniant sa voix comme une épée, il s’attaque aux vocalises de son second air avec vaillance.

    Carlo Vistoli et Lucile Richardot dans Jules César (© Vincent Pontet)
    La distribution est complétée par deux anciens lauréats de l’Académie Jaroussky. Paul-Antoine Bénos-Djian chante Nireno (il est le seul à avoir déjà chanté son rôle, à Opera North) d’un contre-ténor patiné et chaud, dont la puissance est parfois un peu juste. Sa déclamation assurée s’appuie sur l’homogénéité de sa voix dans les différents registres. Pour ses débuts dans la maison, Adrien Fournaison est un Curio à la voix sculptée dans un bois tendre.

    Enfin, le nom de Damiano Michieletto, l’un des metteurs en scène les plus demandés de ces dernières années, fait aussi l’évènement. Les personnages sont d’abord enfermés dans une boite blanche, comme prisonniers du destin que leur tissent trois Parques en arrière scène. Ils cherchent alors à se libérer de ce carcan, mais restent d’abord contraints par la toile tissée par les maîtresses des destinées. Comme dans Elektra à Bastille la veille, la mise en scène montre le mort qui meut les personnages, dans sa nudité désolée. Après Agamemnon chez Carsen, c’est ici Pompée qui anime l’arrière-scène de ses pérégrinations infernales. Les conjurés, qui ont historiquement assassiné César quatre ans après la campagne d’Egypte, sont un temps retenus par un rideau de plastique mais leur menace se fait sentir jusqu’au noir final.

    Sabine Devieilhe dans Jules César (© Vincent Pontet)
    Cette mise en scène, très moderne dans son esthétique, n’en respecte pas moins scrupuleusement le livret. La vision proposée de l’œuvre n’offre toutefois pas suffisamment de lisibilité pour pleinement embarquer le public, d’autant que la direction d’acteur manque parfois d’idées, générant d’importantes longueurs dans les airs à da capo qui n’ont pas vocation à faire avancer l’intrigue.

    Une grande soirée se nourrit aussi des réactions du public. C’est le cas en ce soir de première, les acclamations entourant les saluts de l’équipe musicale (particulièrement Sabine Devieilhe et Philippe Jaroussky), laissant place, sans transition, à une bronca des grands jours pour l’équipe de mise en scène. Surprise finale, le rideau de plastique n’ayant pu être lâché des cintres après le dernier air de Sextus, tombe sur les artistes, heureusement sans dommage, au moment des saluts.

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